Au cœur des cuvées dorées : comprendre la vinification des vins doux et moelleux du Gers

04/11/2025

L'identité singulière des vins doux et moelleux du Gers

Le Gers, terre de vents doux et de brumes tardives, est le berceau historique d’une production de vins doux et moelleux qui s’étend de Madiran au nord, jusqu’aux terrasses argilo-calcaires autour de Condom ou Lombez. Si la région est surtout connue pour ses Armagnacs, elle livre aussi, depuis le XIX siècle, des vins où le sucre résiduel n’est pas un défaut, mais une promesse de plaisir allongé – un héritage transmis par des familles entières qui jouent encore aujourd’hui sur la richesse des cépages comme le gros manseng, le petit manseng, l’arrufiac ou le colombard.

  • Pacherenc du Vic-Bilh : Se distingue par des notes d’agrumes confits et de fruits secs, issus notamment de vendanges tardives et de passerillage.
  • Vins moelleux des Côtes de Gascogne : Réputés pour leur fraîcheur, ils sont souvent élaborés à partir de gros et petit manseng, ugni blanc, colombard.
  • Floc de Gascogne : Assemblage de jus de raisin frais et d’Armagnac jeune, élevé en douceur aromatique.

Les fondations du moelleux : la maîtrise du sucre naturel

L’élaboration des vins doux et moelleux gersois repose sur une base commune : obtenir une concentration naturelle de sucres, sans les artifices des enrichissements exogènes. Le climat donne ici sa part : le « Brouillasse » à l’automne, mélange de brouillard et de soleil, favorise le surmaturité des baies ou, plus rarement, le développement de la pourriture noble, le fameux botrytis cinerea.

  • Objectif principal : Conserver une partie des sucres naturels non fermentés, pour offrir ce profil rond et velouté caractéristique.
  • Degrés de sucre : Un vin “moelleux” du Gers titre généralement entre 30 et 80 grammes par litre de sucres résiduels, un “doux” peut dépasser 100g/L.
  • Acidité : Elle reste souvent élevée, grâce au choix des cépages et des terroirs, pour éviter l’écueil de la lourdeur (source : Vins Sud-Ouest France).

Vendanges tardives, baies choisies, brumes patientes

La première clé réside dans la patience : récolter plus tardivement, parfois jusqu’à la Toussaint, lorsque la plupart des voisins rentrent déjà leurs sécateurs. La baie concentre alors ses sucres sous l’effet du soleil déclinant, tandis que le brouillard matinal favorise le passerillage sur pied.

  • Vendanges tardives :
    • Le raisin reste sur souche durant plusieurs semaines de plus.
    • Les baies se flétrissent, perdant leur eau, concentrant leur jus sucré.
    • Le rendement chute (parfois moins de 20hL/ha), mais la qualité du moût en sort grandie.
  • Passerillage :
    • À l’air libre : on laisse sécher les grappes sur pied, rare dans les faces nord ou par brouillard.
    • Sur claies ou nattes : beaucoup plus rare dans le Gers pour protéger la fraîcheur aromatique du fruit.
  • Botrytisation (pourriture noble) :
    • Phénomène moins systématique que sur le Sauternais, mais possible certains automnes propices.
    • Le botrytis perce la pellicule du grain, concentrant le sucre et transformant les arômes.
    • Se rencontre sur certains Pacherenc du Vic-Bilh « doux » (ex : vendanges autour de la Saint-Catherine, 25 novembre).

À la cave : le lent triomphe du sucre

Pressurage : précision et douceur

Un appui lent, délicat, est alors nécessaire : le pressurage doit extraire la quintessence des jus sans brutalité, pour ne pas entraîner de composés végétaux grossiers. Le rendement en jus est volontairement limité (souvent inférieur à 60 %) pour garder uniquement la meilleure fraction.

Débourbage : l’écrin de clarté

La clarification naturelle du moût, par décantation à froid (débourbage), permet d’éviter les déviations fermentaires. Certains utilisent du froid, d’autres des enzymes désormais autorisées de façon contrôlée, pour favoriser la pureté aromatique (source : IFV Sud-Ouest).

Fermentation alcoolique : science de l’inachevé

  • Températures basses (16–18°C) : Essentielles pour préserver les bouquets délicats de fruits exotiques, d’agrumes, de fleurs blanches.
  • Levures sélectionnées versus indigènes :
    • Certains producteurs préfèrent les souches naturelles, d’autres des levures maîtrisées pour assurer un démarrage régulier et éviter les arrêts inopinés.
    • Dans le cas du Floc de Gascogne, aucun fermentation alcoolique pour le jus, puisqu’il est muté.
  • Blocage fermentaire :
    • La fermentation n’est pas poussée à terme, elle est volontairement stoppée (par refroidissement, filtration ou sulfite), afin de préserver une part des sucres.
    • Les “douceurs” du Gers sont rarement « mutées » à l’alcool neutre : la douceur vient du raisin, pas du dosage.

L’élevage et la quête d’un équilibre

  • En cuve inox : Pour préserver la fraîcheur, la typicité du cépage (par exemple pour les moelleux jeunes, vifs, sur le fruit).
  • En barrique ou foudre :
    • Pour arrondir les arômes, apporter des notes briochées ou de fruits secs, et permettre une micro-oxygénation favorable au vieillissement.
    • La durée varie ─ de quelques mois à 18-24 mois pour les cuvées les plus ambitieuses.
  • Bâtonnage des lies : Pratique qui consiste à remettre en suspension les lies fines durant l’élevage, pour apporter du gras et du relief aromatique.

Le cas particulier du Floc de Gascogne : le mutage à la gasconne

Le Floc de Gascogne, à la différence de ses cousins fermentés, tire son identité du mutage. Le mutage consiste à additionner, au jus de raisin frais (non fermenté, vendangé tôt le matin), une eau-de-vie d’Armagnac jeune (minimum 52% vol.).

  • Proportions réglementées : 2/3 jus, 1/3 Armagnac, pour un degré final entre 16 et 18% vol.
  • Objectif : Empêcher le départ de la fermentation, stopper toute transformation du sucre en alcool.
  • Élevage : Produit racé après au moins 10 mois de mariage en cuve, rarement en fût pour garder l’éclat du fruit.

Le Gers à l’heure des moelleux nouveaux : tendances et singularités

Depuis vingt ans, la production des vins doux et moelleux du Gers se diversifie, portée par l’intérêt croissant des amateurs et les évolutions climatiques :

  • Augmentation de la part des cépages locaux : 45% du vignoble doux s’appuie désormais sur le duo gros/petit Manseng (données CIVSO – 2021).
  • Quête de fraîcheur : Certains domaines expérimentent les vendanges nocturnes et l’acidification naturelle par sélection de parcelles fraîches, pour contrer la hausse des températures globales.
  • Volumes modestes, identité préservée : Sur les 15 000 hectares du vignoble gersois, moins de 9% de la production est dédiée au doux et moelleux, majoritairement en Côtes de Gascogne, Pacherenc, Floc (source : Interprofession des Vins du Sud-Ouest)
  • Attachement à l’authenticité artisanale : Certains producteurs privilégient le tri manuel, baies par baies, lors des vendanges sélectives sur pied. La part de rendement sacrifiée pour la concentration devient alors un vrai choix esthétique.

Vins doux, vins de patience : ce que le temps enseigne

La vinification des vins doux et moelleux du Gers n’a rien d’un procédé figé ; elle épouse chaque automne, chaque hésitation du brouillard, chaque souplesse du cépage. Elle requiert une vigilance lente, une humilité devant le climat, une exigence d’équilibre entre sucre, tension, aromatique et potentiel de garde. Les artisans du Gers n’ont pas cherché à rivaliser avec les dorures de Bordeaux ou les licornes de la Loire. Ils ont préféré apprivoiser leurs brumes, patiemment, pour offrir des vins où la sucrosité jamais ne fait oublier la fraîcheur, où le fruit et la lumière s’échangent le dernier mot.

À l’heure où les amateurs du monde entier redécouvrent la magie des liquoreux et moelleux, le Gers avance sans bruit – mais chaque année, dans l’ombre blanche des matins d’octobre, une promesse : celle des vins doux, tout en nuances, nés d’un geste qui ne doit ni s’accélérer, ni s’oublier.

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