Un pays de blancs et de rouges : la place marginale du rosé dans le Gers historique
Le Gers, c’est d’abord un creuset de blancs secs ou moelleux (Colombard, Ugni blanc, Gros Manseng), taillés pour l’armagnac ou l’IGP Côtes de Gascogne, et de rouges puissants, hérités de la tradition du Madiran tout voisin (Tannat, Cabernet franc, Cabernet sauvignon, Merlot). L’histoire du vin y balance, dès les premières heures du Moyen Âge, entre distillation pour les eaux-de-vie et consommation locale de piquettes rouges ou sombres.
Le vin rosé, dans cette cartographie, entretient des liens ambigus avec la notion même de “vin de soif” ou “vin gris”. Jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle, le rosé gersois prend rarement la lumière ; il n’occupe jamais une place centrale dans la viticulture d’appellation. On le boit lors des fenaisons, des moissons, quand les ouvriers ou paysans réclament un vin léger — ni trop noir, ni trop clair, facile à boire sous le soleil de juin. Cette tradition orale demeure marginale mais vivace dans les mémoires rurales.
On trouve ainsi, dans le glossaire paysan, des traces du “claret” ou “vin gris”, élaboré à partir des premiers jus de presse de raisins rouges, souvent non éraflés, issus de cépages comme le Fer servadou ou le Bouchalès. Le rosé était alors un sous-produit, un vin de passerelle, boisson d’appoint plus qu’expression du terroir.
Ces usages font écho à la France entière, où le rosé fut longtemps consommé, mais rarement revendiqué, ainsi que le rappelle l’ouvrage La France du rosé (Jean-Robert Pitte, 2022).