Le Gers en effervescence : les nouvelles maisons pétillantes à découvrir

19/10/2025

Quand le Gers découvre la bulle : contexte historique et renouveau

Les bulles n’ont jamais vraiment eu droit de cité en Gascogne. Dans les archives, l’effervescence demeure discrète, souvent associée aux mœurs bourgeoises des grandes villes ou à la volonté de rivaliser avec le voisin toulousain, mieux doté en effervescents rosés (à Fronton notamment). Pourtant, dès les années 1980, quelques essais curieux commencent à poindre (source : Revue des Œnologues, n°146).

La vraie bascule s’opère après 2000, où le besoin de diversifier l’offre, de séduire une clientèle plus jeune et de valoriser des cépages blancs à la fraîcheur naturellement effervescente (Colombard, Ugni blanc, Gros Manseng) offrent un terrain de jeu idéal. Le Sud-Ouest s’ouvre timidement au “vin de fête”, à l’esprit Méthod’Ancestrale, à la bulle de soif. En 2021, plus de 250 000 bouteilles de vins effervescents sont produites en Gascogne, principalement sous l’IGP Côtes de Gascogne et le label Vin de France (chiffres CIVSO).

Les cépages qui chantent : une bulle à l’accent gascon

Faire du vin effervescent en Gascogne impose d’écouter les rythmes du climat, la puissance des automnes dorés, le souffle d’herbe sèche qui descend de la forêt de pins. Les domaines les plus convaincants sont ceux qui acceptent ce dialogue plutôt que d’importer des recettes. En voici quelques marqueurs :

  • Colombard : C’est le pouls du Gers blanc, avec ses notes de poire, de bourgeon, d’agrumes, sa nervosité qui invite la bulle.
  • Ugni blanc : Discret, mais structurant, utilisé en base pour les vins d’assemblage, il apporte linéarité et tenue.
  • Gros Manseng : Apporte le relief, l’aromatique riche de fruits exotiques ou de coing, et parfois un sucre naturel qui convient bien aux méthodes ancestrales.
  • Petit Manseng et Sauvignon blanc : Par touche dans certains domaines audacieux, pour la complexité, la tension.

La plupart des vins effervescents du Gers sont bruts ou extra-bruts, un choix affirmé pour valoriser la colonne vertébrale fraîche de ces raisins gorgés de lumière. Côté méthode, on voit cohabiter la traditionnelle “méthode champenoise” (ou traditionnelle) et la pétillance naturelle (méthode ancestrale, ou « pet’ nat’ »).

Panorama des domaines phares de l’effervescence gersoise

En 2024, la carte des domaines qui s’illustrent par la qualité ou l’originalité de leurs effervescents s’étend du Bas-Armagnac aux pentes qui jouxtent le Gers et la frontière landaise. Quelques noms surgissent, vibrants de sincérité, d’expérimentation parfois, de régularité souvent.

Château de Pellehaut : pionnier et régularité

Impossible de parler vins effervescents gersois sans mentionner le Château de Pellehaut. Installé à Montréal-du-Gers, la famille Béraut propose depuis le début des années 2010 un brut blanc de blancs (Colombard/Ugni blanc) d’une grande constance. Leur Pellehaut Harmonie de Gascogne Extra-Brut séduit par sa fraîcheur saline, ses arômes d’agrumes mûrs, et une effervescence fine – un vin d’apéritif et de grandes tablées, produit à près de 60 000 bouteilles par an (source : site officiel Pellehaut).

  • Méthode : traditionnelle, élevage sur lattes 12 à 18 mois
  • Prix TTC domaine : 8–10 €
  • Distribution : cavistes nationaux, export, CHR

Domaine de Tariquet : la bulle populaire, mais exigeante

Le Tariquet à Eauze n’a plus à faire ses preuves sur la scène nationale, mais son Premières Grives Brut petit effervescent s’est fait une place à part sur les linéaires de la grande distribution. D’un profil plus gourmand, floral, sa bulle est volontairement ample et joue la carte du plaisir immédiat. Le domaine revendique environ 45 000 bouteilles annuelles, toutes issues de Blancs portfolio maison (Colombard et Gros Manseng majoritaires).

  • Méthode : traditionnelle, dégorgement après 9 mois minimum
  • Prix TTC domaine : 7–9 €

Domaine de Joÿ : l’énergie des “pét-nat” et la jeunesse en mouvement

Le Domaine de Joÿ, à Panjas, s’est imposé, sous la houlette de Vanessa et Olivier Gessler, comme la référence des bulles naturelles du Gers. Leurs cuvées Joÿ Pet’Nat Blanc (principalement Colombard, avec Ugni blanc et Gros Manseng) jouent la carte du trouble, du fruit croquant et d’une légère sucrosité naturelle. Les flacons partent vite, surtout chez un public citadin curieux de vins vivants (environ 12 000 bouteilles/an).

  • Méthode : Ancestrale, pas de dosage, filtration très légère
  • Prix TTC domaine : 12–17 € selon millésime

Domaine de Sancet : tradition et élégance autour du Manseng

À Gondrin, le Domaine de Sancet opte pour l’assemblage Gros Manseng/Petit Manseng/Sauvignon blanc. Leur effervescent, simplement baptisé Bulles de Sancet, affiche de beaux amers, une tension de bouche, et une identité précise. Un succès en restauration locale, remarqué par des guides comme Bettane+Desseauve en 2022.

  • Méthode : traditionnelle
  • Production : 5 000-7 000 bouteilles/an
  • Prix domaine : 11–14 €

Domaine Entras : la ruralité pétillante

Sur les terres de la Ténarèze, à Ayguetinte, Entras cisèle une bulle confidentielle : Planète Gascogne. Ce vin effervescent, issu d’un assemblage insolite (Colombard, Sauvignon, Muscadelle), offre un profil aromatique inattendu, presque herbacé, parfait pour qui aime sortir des sentiers battus. Seules quelques milliers de bouteilles quittent chaque année la cave.

  • Méthode : traditionnelle
  • Prix TTC domaine : 10–13 €

Élaboration & Expression : singularité de la bulle gasconne

La bulle ne se façonne pas sur les terres gasconnes comme dans le Nord, ni même comme chez le voisin du Sud de Limoux. Ici, quelques différences structurent une identité singulière :

  • Climat et maturité : la précocité des vendanges (début septembre) pour préserver la fraîcheur et l’acidité, essentielle à l’équilibre de la bulle.
  • Pressurage doux : limitation des extractions pour favoriser une mousse fine et un éclat aromatique sans verdeur.
  • Fermentations lentes : beaucoup de domaines misent sur des fermentations longues (20 à 30 jours) à température basse, pour préserver l’élan fruité.
  • Méthode Ancestrale : plus répandue qu’on ne le croit, notamment chez les jeunes domaines en bio/nature, pour un vin vivant, gourmand, moins "technologique".
  • Pas ou peu de dosage : la tendance à l’extra-brut illustre la volonté d’assumer le profil incisif des raisins gascons.

Les meilleurs effervescents dévoilent souvent une mousse nuageuse, une bouche complète, délicatement perlante, où la main du vigneron se sent – de la taille douce au dégorgement modéré, du choix de la matière sèche à la durée d’élevage sur lies.

Les figures émergentes : jeunes pousses et domaines confidentiels

Si Pellehaut, Tariquet ou Joÿ trustent légitimement le haut de la scène gersoise, une poignée de vignerons tracent leur sillon dans l’ombre, entre micro-cuvées et collaborations ponctuelles. Parmi eux :

  • Domaine Uby (Cazaubon) : connu pour ses blancs gourmands, propose une bulle extra-brut d’assemblage, distribuée essentiellement à l’étranger et en CHR locale (environ 9 000 flacons/an).
  • La Cave des Producteurs de Plaimont : à plusieurs mains, expérimente la Gascogne effervescente, dont des cuvées à base de Manseng Noir, cépage rare, apportant couleur et structure au rosé effervescent.
  • Domaine de Séailles (Bios, Biodynamie) : micro-série de Pet’Nat pur Ugni blanc, trouble et vibrant, très recherché des cavistes parisiens.

L’émergence de ces domaines confidentiels s’explique par la curiosité des consommateurs urbains, en quête de vins authentiques, de “petites histoires” racontées par la bulle, et par l’audace de jeunes œnologues formés à l’école des vins nature (voir le guide 2023 Vin Naturel France).

Le vin effervescent du Gers : pour qui, pour quoi ?

  • À la table : L’accord roi reste le foie gras mi-cuit, la volaille rôtie, voire des tapas gersois à la crème d’ail confite. Les rosés effervescents trouvent leur place avec les desserts à la fraise ou à la pêche.
  • À la cave : Les vins effervescents du Gers se dégustent jeunes (2–3 ans) mais certaines cuvées tiennent admirablement bien (Harmonie de Pellehaut, Joÿ Pet’Nat 2020).
  • À la fête : Les bulles gasconnes s’adressent à ceux qui cherchent autre chose que le formatage des Crémants ou la préciosité du Champagne : spontanéité, fruit net, prix doux.
Domaine Cuvée Cépage(s) Méthode Prix (TTC)
Pellehaut Harmonie Extra Brut Colombard, Ugni blanc Traditionnelle 8–10 €
Tariquet Premières Grives Brut Colombard, Gros Manseng Traditionnelle 7–9 €
Joÿ Pet’Nat Blanc Colombard, Ugni blanc, Gros Manseng Ancestrale 12–17 €
Sancet Bulles de Sancet Gros Manseng, Petit Manseng, Sauvignon Traditionnelle 11–14 €
Entras Planète Gascogne Colombard, Muscadelle, Sauvignon Traditionnelle 10–13 €

L’essor discret mais réel d’une bulle enracinée

Entre plaisir du fruit immédiat et complexité naissante, les effervescents du Gers tracent leur propre voie. Ils offrent un souffle, une fraîcheur, une expression parfois mouvante mais toujours sincère de cette terre de passage et de patience. Le Gers n’a pas l’ambition de concurrencer les grandes régions de la bulle, mais il s’assume, vibrille, et pose sur la langue une mémoire de saison, d’accent, de vigneron. La Gascogne n’a pas fini de faire danser ses bulles sous la lumière blonde de l’été.

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