Effervescence gasconne : à la rencontre des cépages des bulles du Gers

01/10/2025

Le Gers et la naissance discrète de ses bulles

Le Gers s’étire entre collines et lumière, au rythme des vents d’ouest et des saisons qui s’attardent. Ici, le temps façonne les hommes et les ceps, mais le vin effervescent n’a pas toujours eu ses lettres de noblesse. Loin de la réputation de la Champagne, des crémants de Loire ou des blanquettes du Sud-Ouest, les bulles gersoises sont nées dans la discrétion, à l’ombre des grands flacons d’Armagnac et du blanc sec. Pourtant, la mosaïque de cépages qui façonne ces vins leur confère aujourd’hui une expression singulière, capable de surprendre l’amateur.

L’élaboration de vins effervescents — méthode traditionnelle ou cuve close, brut ou demi-sec — mobilise dans le Gers, parfois en toute modestie, des cépages enracinés depuis des siècles, mais aussi des variétés plus audacieuses introduites au fil du temps. Voici le portrait de ces raisins qui, chaque année, acceptent le jeu du pétillant.

Origine et essor des effervescents gersois

Le vignoble gascon offre un terroir singulier, marqué par des sols argilo-calcaires, boulbènes, graves et sables fauves. Si le Gers s’est longtemps contenté de vins tranquilles, un regain d’intérêt pour l’effervescent perce dès la fin du XXe siècle. Sous l’influence de jeunes vignerons curieux, et encouragé par le succès grandissant des bulles à l’international, la production d’effervescents connaît aujourd’hui une croissance régulière (près de 900 000 bouteilles par an selon le Comité Interprofessionnel des Vins du Sud-Ouest, chiffres 2023).

Les méthodes d’élaboration sont variées : la méthode traditionnelle (deuxième fermentation en bouteille) domine pour les cuvées haut de gamme, tandis que des vins accessibles sont souvent élaborés via la méthode Charmat (prise de mousse en cuve close), à l’image de ce que l’on retrouve dans d’autres vignobles voisins.

Panorama des cépages stars et oubliés

A l’intérieur de chaque flacon, c’est une danse à plusieurs voix. Le choix du cépage, ou de l’assemblage, conditionne l’équilibre entre fraîcheur, fruité, structure et finesse de la bulle. Découvrons ces cépages dont l’empreinte se retrouve dans la clarté de chaque perle.

Ugni blanc : l’élégance discrète

  • Synonyme : Trebbiano toscano en Italie
  • Surface dans le Gers : environ 10 000 ha (source : Agreste 2022)

L’Ugni blanc est une figure de proue dans les assemblages gersois, tout autant pour l’Armagnac que pour les blancs secs et effervescents. Cépage tardif et vigoureux, sa grande acidité naturelle en fait un allié rêvé pour la prise de mousse : il garantit à la fois fraîcheur et légèreté. On le choisit particulièrement pour l’élaboration des méthodes traditionnelles destinées à vieillir un peu en cave, car son profil neutre laisse la bulle s’exprimer sans pesanteur.

Colombard : l’énergie du fruit

  • Surface dans le Gers : près de 13 500 ha (Agreste 2022)

Le Colombard a quitté les ombres pour devenir l’un des cépages fétiches du Gers et du Côtes de Gascogne IGP. Il se distingue par son aromatique très éclatant (notes d’agrumes, de fleurs blanches et de buis), sa tension et sa vivacité. Dans les effervescents, il apporte ce grain joyeux, parfois exubérant, qui signe le profil « sud-ouest » et évite à la bulle de sombrer dans l’insipide.

Gros Manseng : la générosité retenue

  • Surface : environ 4 800 ha (Agreste 2022)

Moins répandu que le Colombard, le Gros Manseng est néanmoins valorisé dans les effervescents pour sa palette aromatique ample — fruits exotiques, ananas, coing, écorce d’agrumes confit. Plus marqué par la douceur que son cousin le Petit Manseng, il offre structure et rondeur, mais gare à l’excès de sucre : son équilibre nerveux en fait un partenaire parfait, souvent en assemblage avec l’Ugni blanc.

Chardonnay : l’invité universel

  • Origine : Bourgogne
  • Présence dans le Gers : moins de 1 000 ha, mais en croissance (FranceAgriMer, 2022)

Si la Gascogne n’est pas sa terre d’origine, le Chardonnay séduit de plus en plus les vignerons du Gers tentés par la comparaison avec les crémants et autres bulles françaises. Il apporte élégance, droiture et cette touche beurrée/fruitée bien reconnaissable, se jouant des années et permettant des cuvées plus modernes, parfois en mono-cépage ou en assemblage avec l’Ugni blanc.

Petit Manseng : la rareté précieuse

  • Surface : moins de 2 000 ha seulement sur tout le Sud-Ouest

Le Petit Manseng est plus confidentiel dans l’effervescent, mais certains domaines l’utilisent en basse proportion pour apporter complexité et longueur. Il pousse rarement sur les terres les plus planes ; il faut lui laisser la liberté des pentes pour qu’il dévoile ses notes de fruits confits et d’épices. Dans les bulles, il joue souvent le rôle d’un saute-ruisseau de l’aromatique, pointant le bout de son nez dans des cuvées haut de gamme ou en millésime exceptionnel.

Autres cépages secondaires et explorations

  • Sauvignon blanc : utilisé parfois pour l’aromatique fraîche et herbacée, mais rarement majoritaire ;
  • Folle Blanche : ancien cépage de l’Armagnac, il fut longtemps le préféré pour les mousseux avant d’être supplanté par l’Ugni blanc ; aujourd’hui très rare ;
  • Merlot, Cabernet Franc, Cabernet Sauvignon : en version rosée effervescente (bruts rosés), ces cépages rouges sont vinifiés à basse température et avec un pressurage délicat pour extraire la couleur sans excès de tanins.

La Gascogne s’autorise aussi, à la marge, des essais avec d’autres variétés blanches ou rouges. L’IGP Côtes de Gascogne, plus souple que les appellations « AOC », autorise d’ailleurs plusieurs cépages dans les assemblages effervescents (cf. syndicat Côtes de Gascogne).

Assemblages et équilibre : l’alchimie recherchée

Élaborer un effervescent dans le Gers, c’est jouer sur le fil tendu de l’acidité, du fruit, de la structure, de la tension et parfois d’une pointe de sucre résiduel. Rarement mono-cépage, la plupart des vins de la région privilégient des assemblages :

  • Colombard + Ugni blanc : le duo classique, alliance de fruit et de vivacité ;
  • Gros Manseng + Ugni blanc : dominé par la rondeur du Manseng, équilibré par la fraîcheur de l’Ugni ;
  • Chardonnay + Ugni blanc : orientation plus « crémant », finesse et longueur ;
  • Assemblages complexes à 3 ou 4 cépages : pour des vins plus gourmands ou millésimés.

La clé est de conserver une acidité suffisante, condition de la réussite d’une belle prise de mousse et d’un vieillissement harmonieux après dégorgement. Cette acidité, souvent supérieure à 6 g/L en tartrique à la vendange pour les blancs, contraste avec les récoltes destinées aux blancs tranquilles.

Les assemblages permettent également d’adapter les profils selon le marché (brut, demi-sec, rosé, nature), la qualité du millésime, ou l’identité du domaine.

Des anecdotes de caves, entre tradition et audace

C’est dans la pénombre des chais que s’inventent, année après année, les nouveaux équilibres. Plusieurs domaines du Gers aiment à souligner la singularité de leurs assemblages, parfois héritée d’une lignée familiale, parfois inspirée par un coup de cœur pour un vieux cépage oublié.

  • La Maison Saint Mont a relancé la culture de cépages quasi-disparus comme l’Arrufiac ou le Petit Courbu, testés quelques fois en micro-cuvées effervescentes (Source : Plaimont).
  • Des vignerons indépendants du secteur de Nogaro ou d’Eauze jouent sur la fraîcheur d’un Sauvignon associé au Colombard pour des bulles d’une belle limpidité citronnée, à boire dans leur prime jeunesse.
  • L’IGP « Côtes de Gascogne Effervescent » admet explicitement l’originalité : il n’est pas rare de trouver des cuvées expérimentales à base de cépages hybrides ou anciens, pour lutter contre les maladies ou pour retrouver un goût « d’avant ».

Une note poétique pour les curieux : il arrive encore que, lors d’une vendange nocturne, certains vignerons prélèvent une barrique de Manseng trop mûr, la vinifient à part, improvisant ainsi un demi-sec effervescent qui ne sera jamais vendu… Un geste d’artisan, pour le plaisir de la famille ou des amis – et pour rappeler que, dans le Gers, le vin a aussi une âme cachée, un goût de liberté.

Rôle du climat et de la maturité des cépages

Le climat doux du Gers, favorisé par l’influence de l’Atlantique et des Pyrénées, permet une maturation lente des cépages : la fraîcheur nocturne garantit le maintien des acidités, indispensable pour l’effervescent. On récolte précocement pour ces vins, parfois dès la mi-août pour les variétés les plus précoces, bien avant les récoltes destinées à l’Armagnac ou aux blancs moelleux.

De plus en plus de domaines choisissent des vendanges nocturnes, afin de préserver les arômes primaires et d’éviter toute oxydation. L’évolution climatique amène aussi à rechercher des cépages résistant davantage à la chaleur pour garder cette tension si précieuse à la bulle.

Pour aller plus loin : le goût des bulles gersoises demain

Les vins effervescents du Gers sont aujourd’hui bien plus qu’un clin d’œil ou une curiosité. Portés par l’imagination d’une nouvelle génération de vignerons, ils explorent une riche galerie de saveurs, jonglant avec les cépages historiques et les essais contemporains. Ce dialogue constant entre savoir-faire, terroirs et cépages dessine chaque année des bulles à la fois ancrées dans la tradition gasconne et ouvertes aux horizons de demain.

A travers chaque effervescent du Gers, c’est une part d’inventivité locale, de mémoire du goût et de terre, qui s’offre à la dégustation. Qu’il s’agisse du tranchant d’un Colombard, la subtilité de l’Ugni blanc, la suavité du Manseng ou la modernité d’un soupçon de Chardonnay, chaque cépage raconte sa partition, entre éclat et retenue, dans une coupe de Gascogne.

Pour découvrir en détail l’encépagement autorisé et les chiffres récents de la production : FranceAgriMer et Côtes de Gascogne / Plaimont sont des sources fiables.

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