Colombard : l’éclat vif du Gers en cep et en verre

07/06/2025

Un cépage enraciné dans l’histoire gasconne

Le Colombard appartient à la famille vaste et mouvante des cépages du Sud-Ouest. S’il a d’abord fait carrière en tant que composant discret des distillations d’Armagnac, le Colombard incarne aujourd’hui, avec une vigueur presque insolente, la face fraîche de la Gascogne vinicole. Il faut imaginer ces rangs souples, ces feuilles découpées, ce vert presque impatient qui s’allume sous le ciel gersois, dès la fin du printemps. Les plus anciens documents qui mentionnent son nom remontent à la fin du XIXe siècle (VigneVin.com), même si ses origines génétiques sont encore plus anciennes : issu d’un croisement naturel entre le Gouais blanc et le Chenin blanc, il partage ainsi sa parenté avec un autre grand du Sud-Ouest, l’Ugni blanc (source Vitisphere).

Généralement, le Colombard n’a longtemps eu qu’un rôle secondaire : associé à d’autres cépages blancs dans les assemblages d’Armagnac, il servait avant tout à donner acidité et vivacité aux eaux-de-vie. Mais dès les années 1980, la Gascogne s’ouvre à la demande de vins de cépage – des vins vifs, aromatiques, à la fois accessibles et porteurs d’une identité nouvelle. C’est là que le Colombard, souvent méconnu jusque-là, prend toute la lumière.

Surface, répartition et dynamique actuelle

Dans les années 1950, la surface de Colombard en France n’excédait pas 3 000 hectares. Aujourd’hui, il couvre environ 11 000 hectares, principalement concentrés dans le Gers et, plus largement, dans le bassin gascon (source FranceAgriMer - Observatoire viticole 2022). Le Gers représente ainsi plus de 80% de la surface nationale. Cette évolution n’est pas seulement anecdotique : entre 1990 et 2020, la surface plantée a progressé de près de 30%, alors même que de nombreux autres cépages blancs reculaient.

Le dynamisme du Colombard s’explique aussi par la capacité du cépage à répondre aux évolutions climatiques : plutôt tardif, il supporte bien les printemps pluvieux mais craint la sécheresse excessive. Sa vigueur naturelle nécessite une attention de chaque instant au vignoble, mais il s’accommode des sols argilo-calcaires ou sablo-limoneux qui abondent autour d’Eauze, de Condom ou de Vic-Fezensac.

  • Appellation reine : IGP Côtes de Gascogne, qui valorise plus de 55% du Colombard national
  • Usage traditionnel : jusqu’à 40% de l'assemblage blanc en Armagnac (avec Ugni Blanc, Baco, Folle Blanche)
  • Exportation : près de 70% des vins de Colombard produits sont vendus hors de France, notamment en Allemagne, Angleterre, USA (La Vigne-Mag)

Feuille, grappe, maturité : le Colombard à la loupe

De près, le pied de Colombard a cette nervosité élégante qui se distingue clairement. La feuille, grande, profondément lobée, présente des reflets vert clair qui captent la lumière jusqu’au cœur de l’été gascon.

  • Grappe : longue, ailée, à la fois aérée et compacte ; chaque baies de taille modérée, d’un blanc légèrement doré à maturité.
  • Cycle végétatif : débourrement mi-tardif, floraison autour du 10 au 15 juin, vendange dans le Gers autour de la mi-septembre dans les années classiques.
  • Sensibilité à la maladie : moyennement résistant à l’oïdium, très sensible à la pourriture grise ; souvent sujet à la coulure lors des printemps humides.

Si la vigueur du Colombard charme les yeux, elle impose au vigneron une discipline d’aération et de taille. On le taille souvent long, pour limiter sa tendance à surproduire au détriment de la qualité aromatique.

Des arômes qui dansent : profil sensoriel du Colombard

Ce cépage n’est jamais si beau que lorsqu’on le hume et qu’on le goûte. C’est un vin de nez, un vin de fruits blancs, de fleurs, de citron vert, dont la fraîcheur est l’âme. Le mot « croquant » revient souvent – et il n’est pas galvaudé.

  • Arômes principaux : agrumes (pamplemousse, citron, lime), fruits exotiques (fruit de la passion, litchi, ananas pour les récoltes plus mûres), pomme verte, parfois une note d’herbe fraîche ou de buis.
  • Bouche : attaque vive, acidité haute (4,5 jusqu’à 7,5 g/l en acidité tartrique selon le millésime), bouche friande, rarement pesante, qui se prolonge en finale sur des notes salines.
  • Évolution : la plupart des cuvées sont à boire jeunes, dans les deux à trois ans ; mais certains Colombard partiellement élevés sur lies peuvent se garder 4 à 6 ans, évoluant alors vers le miel d’acacia, la cire et les fruits confits.

Ce profil aromatique, affiche aujourd’hui une signature unique au sein des vins blancs français abordables (souvent proposés entre 5 et 10 euros départ cave). D’après les résultats du concours Mondial du Sauvignon 2023, plus de 65% des Colombards présentés en dégustation à l’aveugle ont été jugés « très aromatiques à intensément aromatiques », avec une mention spéciale pour la fraîcheur de leur acidité (Vitisphere).

Le Colombard en vinification : entre technique et instinct

La réussite d’un Colombard gascon exige du doigté, surtout dans la gestion des vendanges et de l’extraction aromatique. Beaucoup de domaines privilégient une récolte nocturne, pour préserver la fraîcheur de la vendange et éviter l’oxydation des composés thiolés (les molécules responsables des arômes d’agrumes et de fruits exotiques).

  1. Pressurage doux : pour éviter l’amertume des pellicules
  2. Débourbage à froid : clarification du moût à basse température (températures parfois proches de 5°C), pour préserver la finesse des arômes
  3. Fermentation sous contrôle thermique : autour de 15-17°C, afin de garder tension et fruité
  4. Assemblage : le Colombard est rarement vinifié seul : il forme fréquemment un duo avec l’Ugni blanc (pour la vivacité et la structure), voire le Gros Manseng (pour apporter du gras et du fruit). On commence cependant à voir quelques cuvées 100% Colombard d’une rare netteté (Château de Pellehaut, Domaine du Tariquet, Plaimont, etc.)

Le Colombard permet ainsi à la fois des vins de plaisir immédiat – éclatants, droits, désaltérants – et des essais plus osés, où l’élevage sur lies ou la fermentation en fût révèle d’autres facettes du cépage. C’est ce que l’on retrouve dans plusieurs micro-cuvées récentes (cf. Guide Hachette 2023, cuvée « Fût de Chêne » du Domaine de la Higuère).

Identité gasconne et réussite internationale

Le Colombard n’appartient plus seulement aux côteaux basques du Gers. On le retrouve de plus en plus sur des terroirs d’outre-mer (Californie, Texas, Afrique du Sud, Australie), mais aucun de ces succès ne rivalise vraiment avec la singularité des expressions gasconnes. C’est ici, à mi-chemin de la forêt landaise et du piémont pyrénéen, que le Colombard a sa voix la plus puissante : celle du vent d’ouest, de la terre argileuse, de la lumière rasante de septembre.

Quelques chiffres pour situer son rayonnement :

  • Environ 42% du vin blanc produit en IGP Côtes de Gascogne provient du Colombard (Interpro Côtes de Gascogne).
  • Près de 110 domaines le mettent en avant dans leur gamme (source Le Point Vins 2023).
  • En 2022, plus de 110 millions de bouteilles de vins à dominante Colombard ont été exportées, avec une croissance de +6%/an depuis cinq ans (Sud Ouest).
Mais il faut prendre cette réussite commerciale comme le reflet d’une authenticité retrouvée : derrière chaque bouteille se joue une manière de dire la Gascogne – sans flonflons, mais avec vérité.

Le Colombard, aujourd’hui et demain

C’est sans doute l’un des paradoxes du Colombard : il a longtemps été tenu pour un simple « cépage de distillerie », avant d’être réinventé par une poignée de vignerons en quête d’émotions neuves, puis, dans les années 2000, reconnu comme ambassadeur du renouveau gascon. D’un cépage de complément, il est devenu le marqueur de toute une région.

Face au changement climatique, il conserve un avantage : une acidité naturelle élevée, précieuse dans cette époque où tant de blancs s’alourdissent sous la chaleur. Des recherches sont menées pour adapter encore sa conduite (port greffé, irrigation raisonnée, couverts végétaux), mais c’est dans la fidélité à sa terre et à sa saison que le Colombard garde son éclat.

Il y aura d’autres modes, d’autres croisements, d’autres aventures œnologiques. Mais le Colombard garde la force tranquille des choses enracinées : vif, franc, jamais compliqué, toujours vivant. Il s’offre comme un paysage ouvert, à qui veut bien prêter attention. Dans chaque verre, on retrouve cette promesse simple de la Gascogne : un coup de frais sur la langue, un souvenir de prairie, et ce goût de lumière qui appelle l’été.

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